Bassin du Congo : un capital carbone de plus de 1000 milliards $ encore sous-valorisé

Bassin du Congo : un capital carbone de plus de 1000 milliards $ encore sous-valorisé

Stéphanas Assocle

Contenu de l’article

(Agence Ecofin) – Deuxième plus grand massif forestier tropical au monde, après l’Amazonie, le bassin du Congo s’étend principalement sur six pays considérés comme centraux dans sa gouvernance forestière et environnementale. Cet écosystème reste encore largement sous-exploité notamment pour les services écologiques.

Les pays du bassin du Congo ne perçoivent qu’une part marginale de la valeur totale des services écosystémiques forestiers qu’ils fournissent au monde. Dans un rapport paru en août 2025, la Banque mondiale évalue à 1152 milliards $ la valeur monétaire totale des services rendus par les forêts du bassin du Congo en 2020, incluant la rétention du carbone, la régulation hydrologique, la biodiversité, la récolte de bois et les aliments sauvages (produits comestibles issus de la cueillette, de la chasse ou de la pêche non domestique).

Intitulé « Bassin du Congo : comptes des écosystèmes forestiers et recommandations politiques », le document souligne toutefois que la valeur nationale effectivement intégrée dans les économies des six pays centraux dans sa gouvernance (Cameroun, Centrafrique, RDC, Guinée équatoriale, Gabon et Congo) n’était que de 7,8 milliards de $ cette année-là.

Alors que la rétention du carbone représente à elle seule près de 99 % de la valeur monétaire estimée des services forestiers, sa contribution à l’économie nationale des  pays du bassin du Congo n’est que de 9 %.

Ce paradoxe suggère une faible monétisation du capital carbone du bassin du Congo, ainsi qu’un accès limité aux mécanismes économiques de compensation ou de financement climatique. L’enjeu de mieux valoriser le service de rétention carbone est d’autant plus stratégique quand on sait que les forêts du bassin du Congo représentent le plus grand puits de carbone net au monde, avec près de 91 milliards de tonnes de carbone stockées en 2020, soit dix fois les émissions annuelles du secteur énergétique mondial.

Contenu de l’article

Ce que propose la Banque mondiale pour mieux valoriser le capital carbone

Pour la Banque mondiale, la clé réside dans la capacité des pays du bassin du Congo à mobiliser les financements climatiques et les marchés du carbone afin de transformer la conservation des forêts en moteur économique. L’institution recommande de renforcer la préparation et les capacités des pays pour accéder aux flux mondiaux de capitaux verts, en s’appuyant sur des mécanismes innovants qui récompensent la protection des forêts sur pied et la restauration des zones dégradées.

Concrètement, cela implique que les pays doivent mettre en place des systèmes techniques et juridiques solides pour participer efficacement aux marchés du carbone et de la biodiversité. Cette démarche passe par la création de systèmes de mesure, de notification et de vérification (MRV) transparents, l’établissement de registres nationaux et l’amélioration des cadres réglementaires encadrant les transactions environnementales. Les comptes des écosystèmes forestiers (NCA), développés avec l’appui de la Banque mondiale, devraient également servir à identifier les zones prioritaires et à concevoir des projets crédibles de financement carbone.

« Les instruments de financement tels que REDD+ [programme de Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement, Ndlr], les paiements basés sur les performances et les obligations vertes offrent des possibilités de monétiser les services de régulation climatique et d’attirer les investissements publics et privés. Parallèlement, les pays devraient renforcer la mobilisation des ressources nationales grâce à des outils fiscaux, tels que les taxes sur le carbone et les prélèvements sur le bois, afin de soutenir la conservation des forêts et la croissance verte », peut-on lire dans le rapport.

Il faut noter que les perspectives sont prometteuses sur le marché mondial du carbone. Les données compilées par MSCI/Trove Research, société spécialisée dans l’analyse et la fourniture de données de référence sur les marchés du carbone, montrent que près de 43 milliards $ ont été engagés ou levés entre 2021 et le troisième trimestre 2024 pour financer des activités liées aux crédits carbone, la majorité de ces fonds étant consacrée à des projets d’élimination du carbone, qu’ils soient fondés sur la nature ou sur des technologies.

Contenu de l’article

Graphique : Levées de fonds et engagements pour des projets carbones par type de projet

L’année 2024 est d’ailleurs considérée comme une année record, avec 14 milliards $ levés ou engagés à la fin du troisième trimestre, reflétant l’intérêt croissant des investisseurs pour ce marché et le renforcement des engagements climatiques mondiaux. Globalement, ces chiffres illustrent le potentiel économique du marché mondial du carbone.

Bien que ces orientations offrent une assise stratégique prometteuse, leur mise en œuvre se heurte à plusieurs défis structurels D’abord, la lenteur des financements climatiques internationaux, souvent conditionnés à des critères complexes, retarde les retombées concrètes pour les pays forestiers.

À titre illustratif, en 2025, le Fonds vert pour le climat (GCF) a validé une subvention de 31 millions $ en faveur de l’Ouganda, en reconnaissance de ses résultats en matière de réduction des émissions liées à la déforestation sur la période 2016–2017, dans le cadre du programme REDD+. Ce financement constitue le premier paiement basé sur les résultats approuvés par le Conseil du GCF pour l’ensemble du continent africain, et pour un Pays Moins Avancé (PMA), marquant ainsi une avancée significative dans l’architecture climatique régionale. Cependant, si l’exemple de l’Ouganda démontre le potentiel de ce mécanisme, il met aussi en lumière la lenteur du processus de rémunération.

D’un autre côté, le marché du carbone souffre de l’absence de normes harmonisées, chaque registre de certification de crédits carbone volontaires utilisant ses propres méthodologies sans reconnaissance internationale unifiée, et d’une crise de confiance qui jette des doutes sur la crédibilité du marché. En 2023, une enquête du journal britannique The Guardian, en partenariat avec l’ONG SourceMaterial et le journal Die Zeit, a montré que plus de 90 % des crédits forestiers certifiés par Verra, le plus important label de compensation carbone au monde, pourraient ne pas représenter de réelles réductions d’émissions.

Pour les pays du bassin du Congo, l’enjeu est désormais de se positionner collectivement sur le marché mondial du carbone, tout en bâtissant une économie forestière durable capable de générer des revenus durables.

Stéphanas Assocle

Source:https://www.agenceecofin.com/actualites/0411-132998-bassin-du-congo-un-capital-carbone-de-plus-de-1000-milliards-encore-sous-valorise

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *