Hommage
Cher cadet, Augustin Kalla Kalla
Gilbert GOMA
Tu ne m’appellais jamais par mon prénom, mais toujours par Yaya (grand-frère), avec déférence, depuis notre enfance. Le temps ayant rétréci l’espace de nos âges, au fil des années, je te considérais désormais comme un ami, mais tu ne voulais pas te délester de l’épithète Yaya, respectant scrupuleusement mon droit d’aînesse.
Quand je venais en vacances au pays, tu ne me quittais pas des yeux et voulais absolument rester en ma compagnie. Ce qui traduisait non seulement ton attachement mais surtout ton profond amour à mon égard. Ta disponibilité dissimulait mal ton envie de me voir prolonger mon séjour à tes côtés comme pour exhumer certaines séquences de notre enfance, notamment lorsque je te tenais par la main pour t’aider à traverser la route pour aller à l’école primaire de Tié-Tié, à Pointe-Noire.
Le temps passant, engendrant des métamorphoses en chacun de nous et suscitant de nouveaux défis, tu as jetté les amarres de ton destin dans le combat pour la justice, la solidarité et l’égalité dans notre pays. Quoi de plus normal que ce noble engagement pour l’édification de son pays ! Et tu l’as fait avec conviction, dignité et constance.
Mon cher cadet, Augustin Kalla Kalla, tu portais le nom de l’un de nos grand-parents. Ce nom venant des profondeurs de notre Histoire, de notre mémoire familiale, s’inscrit dorénavant dans un périmètre d’autant plus vaste qu’il est domicilié à jamais dans la conscience collective congolaise.
Les souffrances, les douleurs et les angoisses que tu as portées au plus profond de ton être, depuis l’enlèvement et la séquestration dont tu as été victime pendant plusieurs jours, mais aussi toutes les violences que t’ont fait subir tes bourreaux, et dont ton corps a été le réceptacle, ont été partagées et péniblement ressenties par beaucoup de tes compatriotes. Leur solidarité à ton égard a été vive et sans équivoque !
Ces souffrances, ces douleurs et ces angoisses, bref, toutes ces meurtrissures, ces actes de déshumanisation que tu as vécus dans l’antichambre de la mort, dans une solitude glacial, face aux regards impitoyables de tes bourreaux et leur cynisme quant à la Sacralité de la vie, sans l’ombre de tes enfants, de tes parents et de tes amis, ont écrit à l’encre de ton sang le discours de ta sanctification.
Nourri à l’éthique et à la morale du Kimuntu, Bomoto (la Droiture, le Respect de l’Autre, la Sacralité de la vie, l’Harmonie, la Paix et la Justice), tu rejoins dans l’au-delà nos ancêtres, nos frères et nos sœurs qui t’ont précédé, sans avoir soumis ton coeur à la tentation de la haine. Car la haine n’est pas un levier de construction d’une société, elle est la mère de la laideur, de la brutalité, de la destruction et de la déshumanisation.
Que dans ce beau pays, notre pays, le Congo éternel, pour lequel tu as investi ta vie, que tu as donné ta vie en holocauste, le “Bien Radical” se substitue au “Mal Radical” qui semble se propager de manière insidieuse et grandissante dans tous les espaces de vie ! Que la Raison triomphe sur l’état de Nature !
Sans rancœur ni amertume pour qui que ce soit, parce que je crois en la force de l’amour, en la régénération et l’élévation de l’esprit collectif, mais aussi dans un élan de fraternité à l’égard de tous mes compatriotes, car notre pays appartient à tous les Congolais, indistinctement, et a besoin de tous pour son édification, je te dis repose en paix mon cadet (leki ya munu pema mbote). La mort étant l’autre bout de la vie, il est le destin de tous…
Les idées de paix, de justice et d’égalité que tu as portées au plus profond de ton être, avec passion, détermination et éloquence, survivront et triompheront, parce qu’elles sont le ferment de la respiration collective, le fondement de la construction d’une Conscience Commune, d’un Idéal Commun, et, par-delà, d’une Nation.
Que le très haut (Nzambi ya mpungu), t’accueille dans son royaume et te couvre de son infini amour.
Ton grand-frère, ton Yaya, Gilbert GOMA