Comment la chute de Kinshasa sert de monnaie d’échange pour une succession dynastique à Brazzaville.
Serge Armand Zanzala
Comment la chute de Kinshasa sert de monnaie d’échange pour une succession dynastique à Brazzaville.
À la suite d’un appel inattendu du président français, Emmanuel Macron, pour une transition politique au Congo-Brazzaville, une dynamique de tension s’est installée dans la sous-région. Une tentative présumée de coup d’État en République démocratique du Congo, associée à des liens troublants entre officiers des deux pays, ravive les soupçons sur une stratégie délibérée de déstabilisation de Kinshasa orchestrée depuis Brazzaville. Le tout, sur fond de succession dynastique, d’humiliation diplomatique à réparer et de loyauté à monnayer. Le parallèle biblique entre Hérode, Salomé (la fille d’Hérode) et Jean-Baptiste éclaire ici les coulisses d’un théâtre politique régional.
1. Le Dialogue National imposé, la manœuvre déviée
Sous pression de Paris, le président Denis Sassou Nguesso s’est vu proposer par son homologue français Emmanuel Macron un scénario de sortie de crise : convoquer un Dialogue National Inclusif, mettre en place un gouvernement d’union nationale et accepter une période de transition politique. Une proposition interprétée comme une menace directe à son pouvoir, et plus encore à son projet de succession dynastique, soigneusement préparé depuis des années.
Plutôt que de s’y plier, Sassou Nguesso choisit une stratégie d’esquive et de contournement. Et c’est à Kinshasa qu’il va déplacer le théâtre de la crise.
2. La riposte symbolique : humilier celui qui a humilié
En mars 2023, lors d’une visite officielle à Kinshasa, le président Emmanuel Macron essuie une mise au point cinglante de la part de Félix Tshisekedi, devant les caméras et les délégations officielles. Le président congolais y affirme son autonomie et rejette toute condescendance de l’ancien colonisateur.
Cette séquence fut perçue comme une humiliation à Paris… mais aussi à Brazzaville, où Denis Sassou Nguesso, resté en retrait, aurait vu dans l’attitude de Félix Tshisekedi une alliance tacite avec le président français. Le contraste fut saisissant : alors que le président Macron ne fit à Brazzaville qu’une brève escale de quelques heures, limitée à un entretien discret dans le salon présidentiel de l’aéroport international Maya-Maya. Ce déséquilibre protocolaire et symbolique aurait été vécu, côté Brazzaville, comme un double camouflet : l’effacement diplomatique face à Kinshasa, et le mépris implicite d’un partenaire occidental censé respecter les équilibres régionaux.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les révélations troublantes issues des téléphones des généraux arrêtés à Kinshasa, accusés d’avoir tenté un coup d’État. Plusieurs d’entre eux étaient en contact direct avec des officiers des Forces armées congolaises (FAC) de Brazzaville. Pour beaucoup à Kinshasa, cela ne fait plus de doute : Brazzaville n’est pas spectateur, mais acteur.
3. Salomé sur le fleuve : Kinshasa dans le rôle de Jean-Baptiste
Dans cette trame de pouvoir et de vengeance, l’image biblique s’impose : Kinshasa devient Jean-Baptiste, voix libre et dérangeante, et Brazzaville incarne Salomé, celle qui demande la tête de Kinshasa pour satisfaire une force extérieure: la France.
Mais ici, la demande n’est pas celle d’une fille à son père : c’est celle d’un vieux pouvoir qui veut monnayer la chute d’un régime voisin pour garantir sa survie et sa succession dynastique. Le tout, dans un équilibre géopolitique où l’allégeance à Paris reste une carte de négociation.
4. Objectif : vengeance, continuité et reconnaissance
Le but ultime ? Démontrer sa loyauté à Paris, et monnayer la chute du pouvoir de Kinshasa avec la succession dynastique au Congo-Brazzaville, tout en négociant un sursis politique. Ainsi, Denis Sassou Nguesso voudrait effacer l’humiliation subie à Kinshasa , par Emmanuel Macron, et obtenir de la France une forme de cécité et de surdité tacites et volontaires face à sa volonté de se représenter ou de préparer, sans entrave, une succession familiale.
Le coup de force raté à Kinshasa aurait donc été moins un acte désespéré qu’un message clair envoyé aux puissances extérieures : le pouvoir à Brazzaville reste maître du jeu régional et prêt à tout pour survivre.
5. La réaction de Kinshasa : diplomatie de la vigilance
Conscient de la gravité de la menace, le président Félix Tshisekedi a choisi de ne pas réagir dans la précipitation. Il a attendu le cadre institutionnel approprié pour agir avec discernement et fermeté. C’est à l’occasion de deux rencontres bilatérales majeures — la 11ᵉ session spéciale de la Commission Défense et Sécurité, et la 10ᵉ session de la Commission Technique Mixte RDC–RC sur les questions frontalières — qu’il a dépêché à Brazzaville une mission de haut niveau.
Le Vice-Premier Ministre, Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité, de la Décentralisation et des Affaires coutumières, Jacquemain Shabani, a été chargé de porter ce message. Officiellement, sa visite visait à renforcer la coopération sécuritaire et à clarifier les lignes frontalières. En réalité, il s’agissait surtout de lever toute ambiguïté sur les intentions de Brazzaville et de signifier que Kinshasa ne tolérerait aucune tentative de déstabilisation.
Ces deux plateformes diplomatiques ont permis à la RDC d’exprimer sa vigilance, de réaffirmer son engagement pour la stabilité régionale, et de poser des balises claires dans ses relations avec son voisin de l’autre rive.
Conclusion : Quand la Bible éclaire la géopolitique
Dans ce jeu complexe de pouvoir, de vengeance et de stratégie, l’épisode de Salomé, la fille du roi Hérode, demandant à son père, la tête de Jean-Baptiste prend un relief particulier. Comme Hérode, Sassou Nguesso est tiraillé entre les injonctions extérieures et la pression de sa propre cour. Mais à la différence du récit biblique, ici, le messager n’est pas mort. Kinshasa a résisté.
Le contexte géopolitique vient accentuer la complexité du dossier : depuis l’implication active de l’administration Trump dans le conflit à l’est de la RDC, la France — accusée d’avoir apporté un soutien militaire au Rwanda, lui-même allié des rebelles du M23 — semble reléguée à la marge du jeu diplomatique régional. Désormais, les regards se tournent vers Pékin et Washington, qui avancent leurs pions en vue de s’assurer le contrôle du véritable enjeu : l’accès aux minerais stratégiques de la région.












































































































































































































































































































































































